L'Espace Forums de "La Traction Universelle"

J’ai consacré l’année 2023 à la deuxième restauration mécanique de ma 11 Légère avec laquelle j’ai déjà parcouru 120.000 km en 46 ans.
J’ai le plaisir de vous raconter en images cette formidable aventure de neuf mois et près de 300 heures d’un travail passionnant.

1 – Dépose du groupe moteur boite
Ma 11 Légère numéro de série 568225 est sortie de l’usine du Quai de Javel le 8 juin 1951. Elle n’avait que 51.030 km au compteur lorsque je l’ai achetée en février 1978 alors que je n’avais pas 20 ans. J’avais déjà restauré la mécanique une première fois en 1986 à 87.000 km, mais les signes de fatigue commençaient à apparaitre après 84.000 km parcourus, totalisant 171.000 km.

J’ai réalisé la dépose du groupe moteur et boite de vitesses le 14 février 2023. Après le démontage des éléments de carrosserie, du radiateur et de sa traverse, du carburateur et du tube d’échappement, de la dynamo et du ventilateur, puis le désaccouplement difficile des transmissions, l’opération réalisée avec une chèvre fut un jeu d’enfants.

2 - Démontage du moteur
J’ai commencé le démontage du moteur par le désaccouplement de la boite de vitesses, puis la dépose de la culasse et des tiges de culbuteurs. Après avoir retourné le bloc, j’ai réalisé ensuite le démontage du vilebrequin et des coussinets, de l’arbre à cames, des bielles et des pistons, enfin des chemises qui sont tombées toutes seules.

L’inspection des différentes pièces montrait une usure prononcée des chemises due à la casse des 4 segments coupe-feu, mais également une détérioration importante des 3 coussinets de paliers. Enfin, une amorce de fissure sur le palier avant du vilebrequin déjà en troisième cote a été détectée à la radiologie par l’atelier Rectification 2000.

3 - Démontage du train avant
Le démontage de train avant n’a pas été une partie de plaisir tellement la couche de graisse accumulée depuis 36 ans était importante. J’ai commencé par la dépose des tambours, des cylindres, mâchoires et flasques de freins, puis l’extraction des roulements extérieurs et intérieurs de fusées pour la dépose des transmissions. J’ai poursuivi par l’extraction des rotules de pivots supérieures et inférieures avec l’outillage spécifique et le démontage des amortisseurs. La dépose du berceau a été réalisée sans problème avec quelques coups de masse.

J’ai utilisé des tonnes de papier et des litres d’essence afin de dégraisser toutes les pièces. Puis je les ai soigneusement classées pour diagnostiquer les pièces à conserver ou à remplacer. En attente du remontage qui aura lieu dans quelques mois, j’ai rangé toutes les pièces du train avant dans plusieurs boites à glaces étiquetées par ensemble mécanique : rotules de pivots inférieures et supérieures gauches et droites, entretoises et écrous de fusées gauches et droites…

4 - Réfection de la boite de vitesses
Ma boite de vitesses d’origine est « matching numbers » puisque sa date de fonderie est du 10 mai 1951. Je souhaitais donc la conserver et la refaire à neuf car elle totalisait 171.000 km et comportait un jeu très important au niveau des sorties de boite.

La réfection d’une boite de vitesses de Traction n’est pas à la portée de tous, c’est pourquoi j’ai confié cette tâche à un expert en la matière, notre ami Jean-Christophe Pelladeaud, qui a démonté, nettoyé et diagnostiqué toutes les pièces et m’a invité à participer au remontage et aux réglages de l’ensemble dans son atelier en Charente.

Tous les pignons se sont avérés en bon état, ils ont été conservés et remontés avec des bagues en bronze et des roulements neufs. Les bagues en céleron de différentiel et les joints Spi ont également été remplacés. La distance conique et l’entredents du couple conique ont été réglés au palmer selon les préconisations du constructeur.

5 – Réfection du train avant
J’ai profité de la dépose de toute la mécanique pour décaper le tablier qui avait reçu une couche de Blackson lors de la première restauration. J’ai passé ensuite une couche de peinture époxy à froid sur le tablier ainsi que le compartiment moteur et les broches de train avant.

Toutes les pièces du train avant à conserver ont été confiées pour sablage et thermolaquage à Jason et Quentin de la société RackkaTrac qui ont également réalisé l’échange des 4 silentblocs de barres de torsion achetés en souscription au club et au remplacement des axes de triangles à bagues en bronze par un montage à silentblocs.

Les cardans doubles coté roues ont été restaurés chez Depa et les simples coté boite par mon ami Philippe Aubert. Les rotules de pivots supérieures et inférieures se sont avérées en bon état car graissée régulièrement, elles ont juste été polies. Les roulements intérieurs et extérieurs de fusées ont été remplacés par des neufs de marque SKF.

6 - Peinture vert moteur
Le précédent vert moteur genre vert sapin ne me plaisait pas trop, j’ai donc utilisé le même vert moteur Citroën RAL 6020 que j’avais trouvé chez Restom pour la restauration mécanique de notre 15/6H il y a trois ans. Le bloc moteur, la culasse, le couvre-culbuteur, le carter d’huile, le carter de distribution, la poulie d’arbre à cames et la cloche d’embrayage ont été entièrement repeint au pistolet en deux couches en ayant pris soin au préalable de bien protéger les plans de joints.

Par coquetterie, le moteur étant également « matching numbers », ce qui m’a été confirmé sur l’attestation du Conservatoire Citroën, j’ai peint en rouge la date de fonderie coulée sur le côté droit du bloc moteur : « 26 05 A » signifie le 26 mai 1951, les années étant repérées par les lettres A à G de 1951 à 1957. J’ai peint en rouge également les puits de bougies dans la culasse et l’extrémité de la jauge à huile. Nous étions à la mi-mai, trois mois après les premiers tours de clé, le moteur était déjà prêt à remonter…

7 - Peinture des périphériques
La cloche d’embrayage a été peinte en vert moteur et la boîte de vitesses en noir brillant en avant de l’axe des transmissions, comme à l’origine sur toutes les Traction 11BL et 11B d’après-guerre. Les périphériques du moteur ont également été nettoyés à l’essence, décapés à la brosse métallique et repeints au pinceau de la même couleur vert moteur : démarreur, dynamo, pompe à eau et ventilateur… Toute la visserie Citroën d’origine marquée du double chevron a également été nettoyée, décapée et repeinte, soit en vert pour les pièces du moteur, soit en noir pour les pièces de transmissions.

8 - Montage du moteur
Le remontage des pièces mobiles n’est qu’un jeu de construction. Mais il demande méthode et précision, c’est pourquoi j’ai fait appel à mon ami Patrick. Nous avons commencé par le montage des bielles sur les axes de pistons, puis l’insertion des pistons dans les chemises. Après avoir enduit les joints d’embase de chemise en papier de joint Loctite 528, nous avons descendu délicatement les chemises dans le bloc moteur en les bloquant immédiatement avec une vis et une rondelle afin de pouvoir retourner l’ensemble.

Montage du vilebrequin
Après retournement du bloc, le vilebrequin a été inséré délicatement dans ses trois paliers munis de leurs coussinets, puis chacune des quatre bielles a été montée sur le vilebrequin, leurs coussinets étant préalablement enduits d’huile moteur. Les chapeaux de bielles et les chapeaux de paliers ont été serrés au couple préconisé par le constructeur, soit 5 mkg pour les bielles et 7 mkg pour les paliers.

Calage de la distribution
Le calage de la distribution s’effectue avec l’outil 1680-T référencé dans le dictionnaire des réparations. Celui-ci est positionné entre les deux pignons de distribution de manière à ce que le poinçon sur la dent du grand pignon côté arbre à cames et celui sur l’entredent du petit pignon côté vilebrequin soient parfaitement alignés suivant le trait de peinture blanche. Puis l’ensemble est emmanché en bout des deux arbres, sans oublier d’insérer les deux clavettes. Nous avons procédé ensuite au remontage de la pompe à huile et de sa crépine.

9 - Montage de la culasse
Les 13 goujons de culasse sont vissés dans le bloc après avoir pris soins de passer un tarot dans les filetages. Le joint de culasse neuf d’origine en cuivre et amiante est badigeonné d’huile moteur et placé sur le bloc avec les sertissages vers le haut. Puis la culasse est posée délicatement sur le joint et les écrous sont serrés un à un en partant de celui du milieu et en tournant dans le sens anti-horaire. Un premier serrage à 3 mkg est réalisé à la clé dynamométrique, puis un deuxième serrage à 5 mkg.

Réglage du jeu des culbuteurs
Un premier réglage du jeu des culbuteurs est effectué à froid. Lorsque les soupapes d’un cylindre sont en bascule, c’est à dire en fin d’échappement et début d’admission, on réalise le réglage du jeu des culbuteurs du cylindre opposé. Rappelons que l’ordre d’allumage du moteur 4 cylindres est 1-3-4-2 et que le jeu est de 0,15 à l’admission et 0,20 à l’échappement pour le moteur 11 Perfo. Enfin le couvre-culbuteurs est monté sur la culasse.

10 - Montage du train avant
Nous étions déjà à la mi-juillet et après l’organisation de notre Randonnée des Copains dans la Drôme provençale, je me suis attaqué au remontage du train avant. J’ai commencé par les rotules de pivots inférieures serrées avec des systèmes VS qui remplacent les cales de réglage d’origine, puis les rotules supérieures avec les systèmes de vis et contre-écrous d’origine serrés avec l’outillage spécifique.

J’ai procédé ensuite à la pose du berceau et des supports de pare-chocs, puis au remontage des transmissions refaites à neuf avec les roulements neufs. J’ai remplacé le caoutchouc d’étanchéité de la colonne de direction déchiré. L’opération a nécessité la dépose du volant et de l’ensemble crémaillère et colonne de direction afin d’éviter de refaire le réglage du pignon d’attaque de la crémaillère. J’ai monté des soufflets de crémaillère en cuir sans démontage de la crémaillère puisque celle-ci avait déjà été refaite lors de la précédente restauration et ne présentait aucun jeu.

11 - Réfection des freins
J’ai attaqué ensuite la réfection complète des freins avant et arrière. Les 4 cylindres de freins d’origine étaient grippés, nous avons procédé à leur restauration avec un honoir à cylindre et changé les coupelles et les cache-poussières. Le maître-cylindre a également été restauré avec le kit piston, coupelle et soufflet de chez Bendix, puis repeint.

J’ai fait sabler et repeindre mes 8 mâchoires de freins et équiper de garnitures collées chez RackkaTrac. J’ai remonté les mâchoires avec des ressorts, rondelles et goupilles neuves. Puis j’ai réalisé le centrage des mâchoires grâce à l’outillage spécial permettant un réglage précis aussi bien à l’avant qu’à l’arrière.

J’ai démonté, décapé et repeint à la peinture cuivre les tubes et raccords de freins d’origine et monté des flexibles neufs. Enfin, j’ai déposé, dégrippé et graissé les câbles de frein à main d’origine en bon état et réalisé leur réglage précis au niveau du palonnier.

12 - Mise en place du groupe moteur boite
La mise en place de l’ensemble moteur boite de vitesses dans son compartiment est une étape délicate mais décisive que nous attendions depuis plusieurs mois. La chèvre doit être levée à bonne hauteur afin de permettre le passage du groupe moteur boite entre les deux jambonneaux. Lorsque le support arrière s’approche du bac à batterie, la chèvre est descendue délicatement en visant les deux ressorts de support moteur sur la caisse. Viennent ensuite l’accouplement des transmissions à la boîte de vitesses et le montage de la traverse sur le berceau.

13 - Mise en route
La mise en route d’un moteur rénové est toujours un grand moment d’émotion, elle a été réalisée dans la cour le 29 novembre 2023 après neuf mois d’une longue restauration. La rampe de culbuteurs a été abondamment aspergée d’huile moteur à l’aide d’une burette, la pompe à essence a été amorcée à la main. L’avance à l’allumage a été réglée au minimum et la commande de starter tirée à fond.

Au premier coup de démarreur, le moteur s’est mis à ronronner dans un sympathique concert de culbuteurs et une agréable odeur d’huile ! Les premiers essais dans les rues avoisinantes ont été effectués avant remontage de la carrosserie…

14 - Épilogue
La chasse et le parallélisme ont été réglés dans un premier temps au fil à plomb, puis par un professionnel sur un banc laser selon les normes constructeur.

Je ne reconnais plus ma 11 Légère : le moteur est équilibré, la boite est silencieuse et le train avant n’a plus aucun jeu, un vrai bonheur ! Elle est à maintenant prête pour 100.000 nouveaux kilomètres !