Chers co-tractionnistes,
Je viens de terminer la lecture de « La tragédie d’André Citroën » par Sylvain Reiner. Cela m’a permis de me plonger dans la vie d’un homme exceptionel et unique dans son genre. Il est tristement ironique que la voiture qui aujourd’hui nous donne autant de joie et de plaisir, ait signifié pour lui la fin la plus douloureuse qu’on puisse imaginer. Non seulement dérouté et débouté de sa propre entreprise, mais aussi victime d’un cancer qui le vida lentement de toutes ses forces physiques, pour le laisser mourir exsangue six mois après la faillite judiciaire de l’entreprise (le symbole douloureux des 75 ans que nous fêtons cette année...).
Beaucoup de sentiments se sont levés en moi durant cette lecture. D’abord, l’admiration pour cet homme hors du normal, qui a tracé un chemin de vie vraiment original, un de ces hommes dont on peut dire qu’il a « forgé son propre destin ». Combien aura pesé dans sa vie, la perte de son père qui s’est suicidé alors qu’André n’avait que cinq ans ? Combien la perte de son frère aimé Bernard, mort au charnier de 1914, et de sa dernière fille Solange, morte ébouillantée dans sa baignoire à deux ans, ont façonné ultérieurement un caractère déjà hors du lot ?
André Citroën était beaucoup plus qu’un industriel génial à l’avant-garde du progrès. C’est évidemment un côté de sa personnalité, et notre aimée Traction Avant en est la preuve. Mais il y avait quelque chose de plus grand dans cet homme, qui trahit une manière diverse d’affronter la vie. Lui ne la mangeait pas comme un petit bouillon tiède, il la mordait à pleines dents, crue et vibrante ! Son motus « En avant ! » représentait une soif de vivre, que peut-être les tragédies qu’il avait connues rendaient inévitable.
Il y a une autre chose qui ressort pleinement de cette biographie, et c’est le grand humanisme de notre Homme. L’attention qu’il apportait au bien-être des ouvriers de l’usine, les services à l’avant-garde qu’il leur offrait (cantine, crèche, urgence médicale, salles de loisirs, clubs sportifs, bandes musicales, etc...), sa proverbiale générosité (que d’autres – pauvres nullités - appellaient inconscience ou gaspillage...), et - ce qui pour moi est touchant – son attachement à sa famille et sa fidelité envers sa femme (ce n’était nullement un tombeur de femmes, même s’il fréquentait la « haute société mondaine » des casinos de Deauville ou d’ailleurs).
J’ai fixé pour de longs instants le visage que de vieilles photos nous restituent. Il y a de la bonté dans ces yeux, et une flamme qui brûle paisiblement. Je l’imagine courtois, terme un peu désuet de nos jours (malheureusement !) et affable. Mais il avait aussi un côté bon vivant et rieur (ses plaisanteries et pitreries faisaient partie de sa légende) qui nous parle d’un homme qui aime la vie, et qui veut que les autres l’aiment autant ! Sa capacité de contaminer ses proches comme les nouveaux-venus était proverbiale. Sans cette énergie, cet enthousiasme, cette exubérance parfois, nous n’aurions jamais connu ni la A, ni les B2, B12, B14, les C4 et C6, les Rosalie et la Traction (pour ne pas mentionner les « Kégresse », les camions, les autocars, etc.), et nous en serions tous plus pauvres...
Voilà, je voulais partager ces impressions et sentiments au terme d’une lecture qui m’a emmené loin de mon quotidien parfois un peu morne et tristounet, vers les grandes étendues de la saga humaine et les élans que prennent certains visionaires, grâce auxquels nous les communs mortels nous sentons un peu moins minables. A partir de maintenant, chaque fois que je grimperai dans ma Traction, je penserai à cet homme incroyable qui, 74 ans après sa mort, fait encore rêver et jouir des tas de passionés, et dont les voitures (et je me plais à croire : surtout nos Tractions aimées) font encore sourire ébahis de petits mômes incrédules sur les trottoirs de France et de Navarre.
Vive André Citroën !
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