Suite de mon article de fond sur le Pouvoir d’achat (voir rubrique Hors sujet) :
Suite à mon courrier dans la revue 72, je trouve intéressant de revenir sur la notion de restauration et de cotes :
Il est évident que lorsqu’on est soi-même tôlier, mécanicien, peintre, sellier, électricien, il est possible d’acheter une Traction à restaurer pour 1500-1800 euros (tout de même) et de la restaurer pour une somme totale de, mettons, 7000-8000 euros. Ce qui lui confèrera une cote proche de ces montants. Notons que les voitures dans leur jus commencent à se faire rares mais qu’on voit ressortir des épaves que l’on aurait ferraillées jadis.
Quid des heures de main d’œuvre ? Dans la revue n°75, Néo Rétro a restauré sa voiture après 1200 heures de travail. J’ai entendu pour ma part parler de 1000 heures de travail pour une restauration totale. Un membre de ma section m’a indiqué avoir passé 1600 heures sur sa voiture qui est actuellement en apprêt, posée sur ses roues, essieu arrière et train avant peints. Restent l’électricité, la sellerie, la mécanique et à peindre la carrosserie. Soigneux et patient, il compte y parvenir après 1800 heures. Un carrossier m’a dit être capable de refaire un cabriolet en 550-650 heures de travail sans sellerie ni mécanique. En conclusion, 1000 heures me semblent un total raisonnable. L’heure de main d’œuvre tournant autour de 40-45euros TTC (43€ chez M. CHAUVET d’après une restauration récente), il faudra prévoir 40000 euros sans compter les fournitures.
Je reprends, en espérant qu’ils ne m’en voudront pas, les budgets 15.6 de deux internautes "JCPEPS" et "Dieter" posté sur un autre forum :
JCPEPS évalue à 40 heures de MO pour refaire un moteur, montage et démontage compris soit 1600 euros. Après addition (dont 2525 et non 1864 euros), j’arrive à un total moteur boîte de 5460 euros mais ceci est semble t-il sans tout changer. Pièces manquantes ou cassées, carter de bv fendu, joint spi, réglages, essai, huile, microbillage, apprêt, peinture devront s’ajouter pour atteindre aisément les 6000 euros.
Hors moteur, Dieter, sur une voiture saine, avec remise en état pour rouler mais sans grosse restauration (révision des trains roulants, silentblocs, rotules, triangles rebagués, amortisseurs, cardans, freins, roulements, 4 pneus) arrive à 4195 euros plus 1200 euros de MO soit 5395 euros. Nous en sommes à 11395 euros juste pour pouvoir rouler.
Allons faire un tour chez les professionnels. Monsieur MORETTI de Mirecourt indique passer 70 heures de MO sur un moteur de 11CV et 100 heures sur un moteur de 15. Ses tarifs sont (pièces et MO) : Moteur 11 perfo restauré sans optimiser : 2200euros. Avec culasse sans plomb, filtre à huile, pompe à eau, carburateur, embrayage à diaphragme (hormis dynamo et démarreur) : 3500 euros. Tout compris avec embiellage neuf : 4750euros. Boite de vitesse de 11 : 750euros. Moteur de 15.6 tout compris : 7500euros. Boite de 15 : 2000euros.
En tenant compte de ces nouveaux chiffres, nous en serions à 12900€ juste pour pouvoir rouler en 15. En cas de restauration totale, restent le démontage total de la carrosserie, ailes, portes, capot, calandre, radiateur, dégarnissage, circuit électrique, phares. Puis la restauration (démontage tableau de bord et peinture, réfection du radiateur, du démarreur, de la dynamo, des barres de torsion, du câblage électrique, de la sellerie, de la calandre, des chromes, redressage de carrosserie, soudures, microbillage, apprêt, peinture, huile et eau, essais de carburation et sur route, pesage des roues, réglages de hauteur, voire redémontage car pièces mal montées). 500 heures de MO ne seront pas de trop soit 20000 euros à ajouter sans les fournitures. Nous sommes déjà à 32900euros sans compter le prix d’achat, l’éventualité d’une première restauration approximative (démontage au burin, mauvais traitement des tôles, pièces non conformes, etc.) et donc l’achat de pièces neuves ou d’époque dans les bourses. Vous comprenez pourquoi les cotes des belles voitures sont en hausse.
Désolé de rappeler qu’une voiture "retapée" n’aura jamais la cote d’une voiture restaurée. Ce sont souvent celles-là qui tombent en panne dans les rallyes (une mécanique n’étant pas vivante ne se dérègle pas seule). Je pense qu’une voiture optimisée ne peut prétendre à la cote d’une voiture d’origine, conservée par le temps ou restaurée selon les règles de l’art. Là réside la notion de véhicule de collection. Il vaut mieux trouver un professionnel qui sait faire un travail durable, afin de ne pas tout recommencer cinq ans après. Quid de la sécurité des travaux effectués par un ami ? Pas de recours possible. C’est souvent la solution retenue par les tractionnistes pour faire baisser la facture. La longévité des mécanismes dépend aussi de la vieillesse de la voiture et bien sûr du style de conduite, chaque chauffeur étant le gardien numéro un de la longévité de sa monture. Je me tiens d’ailleurs à la disposition de tous ceux qui ont cassé leur boîte de vitesses pour voir avec eux comment elle a été restaurée et ensuite pour leur apprendre à s’en servir. Il est plus simple d’accuser la fiabilité de cette fichue boite 3 vitesses qui… que… etc.
Je ne suis pas expert auto mais j’écoute et je note. Une partie de mes prévisions semblent s’avérer exactes : il y a quelques années une 15.6 restaurée valait 20-25000euros. Aujourd’hui elle se rapproche plutôt des 26-28000 euros. Multiplions les exemples. Sur un autre forum, un internaute a fait expertiser sa voiture 26000 euros. A Rétromobile, une 15H a été vendue 24725euros sans les frais (de 18% environ). Sans les frais, un cabriolet 11B a été vendu à 126500euros (et il est à reprendre), un cabriolet 11BL à 86500euros. Sur Internet, un cabriolet est proposé à 85000 euros. Rien de plus normal : le marché devient européen et les acheteurs fortunés se font plaisir. Un amateur est prêt à acheter un coupé large pour 55000 euros, un autre investirait 60000 euros. Pourquoi ? Parce que c’est aussi introuvable qu’une Traction 11A ou 11AL 1934 avec toutes ses pièces spécifiques ! Le standard de qualité va encore grimper et les prix aussi.
Ainsi les valeurs "ferraille" que nous donnions sur notre site doivent être réévaluées d’une valeur "affective" que nous avions volontairement sous-estimée parce que malaisée à modéliser. L’offre dépend de la rareté (critère objectif), la demande dépend de l’intérêt (critère subjectif). La négociation détermine un prix. Un prix peut être donné par la rareté et influer sur la demande. Dans une vente, entrent en jeu de nombreux paramètres complexes.
A la lecture de ce texte, je sais que des tractionnistes vont pousser les hauts cris : la Traction est une voiture populaire. C’est vrai mais aujourd’hui elle est avant tout une voiture ANCIENNE, voire parfois de luxe : 15.6, cabriolets, découvrables, etc. Son coût de restauration est identique à celui d’une Jaguar. Il y a plus de surface à peindre sur une Traction que sur une Type E et je ne crois pas que le vert anglais coûte plus cher que le noir traction. Jacques a évoqué la restauration de sa familiale 1957 dans la revue n° 49 en 2001 pour 19600euros. Il a tout fait lui-même sauf carrosserie (réfection et peinture pour 6600euros) et sellerie (2800 euros). Proposer une 11B 1955 parfaitement restaurée à 18000euros ne me choque plus mais qui sera acheteur ? A quel prix la vendre ? D’abord le prix sera ferme s’il existe des preuves, factures ou dossier de restauration. Il pourra être négocié si la voiture a été restaurée par le vendeur. Arrivera un moment où une voiture plus courante sera aussi chère qu’une rareté. Alors la rareté sera préférée et la 11B 1955 ne trouvant pas d’acquéreur à ce prix, devra être négociée à la baisse. Nous en sommes là actuellement. Seul l’augmentation du prix des avant-guerres et le maintien du différentiel pourraient protéger la 11B. Mais alors il y aura moins d’acheteurs désireux de débourser 18000 euros pour une 11B 1955. Que dire des inévitables optimisations dues au progrès qui devront s’ajouter ? D’accord pour ajouter par exemple 1000 euros de travaux sur une 15.6 pour rouler à l’E85 mais moins d’accord pour les ajouter sur une 11B vendue déjà 18000 euros.
Pour faire baisser la note de la 11B, les propriétaires se transformeront-ils tous en carrossier, peintre, etc. ? Comme je n’y crois pas trop, que je constate que la Traction est de plus en plus consommée (on achète et on veut se faire plaisir tout de suite sans que cela coûte trop cher), marché noir, débrouille, engagement associatif ont encore de beaux jours devant eux… sans d’ailleurs, mon propos n’est pas là, méjuger du résultat : je connais des "doigts d’or" et certains interviennent sur ce forum pour notre plus grande admiration. Mais une association n’est pas une société de services.
A contrario proposer une réplique terminée pour 75000euros relève, j’emploie rarement ce mot, de l’escroquerie pure puisque que valeurs affectives et historiques sont absentes et que la valeur réelle est seulement fonction des heures de main d’œuvre.
Nuançons. Un unique achat ne fait pas une cote (pièce rare par exemple) mais la publication de la vente peut servir d’exemple. Dès l’instant où il y a acheteur et vendeur, il y a négociation sauf si le vendeur s’y refuse. Une vente aux enchères encourage plutôt une escalade de prix : son résultat est à prendre avec prudence. Cependant experts et assurances, en absence d’informations, la retienne.
En conclusion comme je le disais dans mon courrier - soigneusement pesé et plein de pistes - dans la revue 72, faire soi-même est le seul espoir du maintien de la stabilité des cotes et de la possibilité de revente à prix raisonnable. La formation semble être l’avenir de notre passion si l’on veut qu’elle reste populaire : c’est-à-dire le Savoir. Quant à la valeur affective… elle fera toujours battre les cœurs pour le malheur des portefeuilles.
© 2008 Jérome COLLIGNON
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